La sociologie à l'OiEau : Interview d'Anne-Paule Mettoux-Petchimoutou, Chargée d'études

Depuis 2013, Anne-Paule occupe le poste de Chargée d'études et de projets au sein du Pôle Information et Connaissance (PIC), à la Direction Données, Connaissances et Système d'Information, à Limoges. Diplômée d’un doctorat en Sociologie de l’Université Paris X Nanterre avec une thèse intitulée "Association et changement social : le cas d'Eau et Rivière de Bretagne, association de défense de l'environnement", elle nous présente ses missions, son regard et sa méthodologie d’analyse de nos sujets. Une réelle complémentarité avec les approches technique ou institutionnelle, par exemple, portées par d’autres collègues.
Peux-tu nous présenter ton parcours et tes missions principales à l’OiEau ?
Je travaille notamment sur les aspects de capitalisation et mutualisation des informations et d’apport de connaissances. Je crée de la connaissance, notamment en réalisant des enquêtes, des études ou en rédigeant des synthèses.
Avant l’OiEau, j'ai commencé à travailler avec le Centre d’Etude du Machinisme Agricole et du Génie Rural des Eaux et Forêts (CEMAGREF) sur la cartographie des acteurs de la recherche dans le domaine de l'eau et ensuite avec l’ONEMA-Office National de l’Eau et des Milieux Aquatiques. Nous avons créé un site internet autour de cette recherche, Cart’eau, que l’OiEau a été chargé d’animer. C’est ainsi que j’ai rejoint les rangs de l’OiEau et ai commencé à travailler sur des synthèses, des études et des enquêtes.
Depuis mon arrivée, une autre activité s'est greffée à ces missions : la veille. Je suis en charge de la veille « biodiversité aquatique », qui a pour objectif d’alimenter une Lettre d’information mensuelle consacrée à des actualités sur cette thématique. L’éditorial que nous rédigeons aborde un sujet, de telle façon qu’il apporte de la connaissance, notamment en essayant de trouver des sites internet, des informations qui complètent les actualités mises en valeur. Cette veille se décline également en un bilan stratégique dans lequel nous essayons d’identifier les tendances de l'année et mettons en valeur un ou plusieurs sujets qui ont émergé.
Le deuxième pan d’activités est dédié à la réalisation de synthèses et se passe en plusieurs temps. Il y a d’abord la collecte de données et la recherche documentaire. Ensuite, il y a une partie d'exploitation et de traitement des données et enfin d’une analyse, et c'est là où mon approche issue des sciences humaines et sociales permet d’apporter un point de vue différent ; une analyse plutôt sociologique.
Les sujets sont très variés : les aires d'alimentation de captage, les déchets, les normes de qualité environnementale, les micropolluants, mais aussi les acteurs de la Recherche dans le domaine de l'eau par exemple. L'eau est un sujet, mais ce n'est pas l'objet principal de mon travail. C’est plutôt l'analyse qui permet à l’OiEau de se positionner par rapport à la société et d’appuyer notamment la politique publique en la matière.
Cette activité permet de travailler sur des sujets comme la mobilisation des acteurs, avec par exemple le projet Eau&Climat du programme européen LIFE ou sur les perceptions, notamment de la population. Et ça, c’est le cœur de mon métier : tout ce qui est en lien avec la société, les perceptions, les représentations sociales. C’est cette sensibilité-là qui fait que c'est un apport particulier à l’OiEau.
En tant que sociologue, comment abordes-tu la gestion de l'eau et les problématiques liées ?
L’aspect sociétal permet d'avoir une approche un peu différenciée. Par exemple, lorsque je travaille sur la mobilisation des acteurs, je fais référence aux sociologues qui ont étudié les processus de mobilisation pour proposer des recommandations. Comment mobiliser collectivement les acteurs ? Quelles sont les actions qui existent déjà ? Comment les personnes vont-elles utiliser tel outil de mobilisation ? Pour quelle mobilisation ? … Cette approche complète un petit peu le côté sociologie qui, au niveau académique, reste plutôt dans les concepts et peu dans la pratique.
En quoi ton approche sociologique est-elle complémentaire de l’approche technique d’autres collègues ?
Pour comprendre comment fonctionne la société et notamment dans le domaine de l'eau, il faut faire le lien entre la technique et le politique. Côtoyer ces deux sphères est enrichissant, cela permet aussi de mieux appréhender toutes les complexités du domaine de l'eau. C'est une richesse extraordinaire de pouvoir, par exemple, travailler avec les formateurs à l'OiEau, cela apporte beaucoup de connaissances, de pédagogie, mais cela permet aussi de se servir de ce savoir pour pouvoir mieux appréhender la politique, la société, les acteurs de l'eau et les différentes sphères du monde de l'eau. On peut ainsi mieux comprendre à un moment donné, quel est le rouage qui est un peu grippé ou quel est le rouage qui n'existe pas pour pouvoir donner des recommandations.
Par exemple : le monde de la technique alerte depuis longtemps sur l’entretien de nos réseaux. Aujourd'hui, c'est un problème majeur. Si les acteurs décideurs avaient écouté la technique, cela aurait permis aux politiques d'anticiper à la fois, le changement des réseaux, son coût et de recruter les effectifs nécessaires.
Si je travaille aujourd'hui sur un domaine technique comme la question des réseaux, systématiquement, je vais aller voir les formateurs. Je vais rencontrer les personnes pour essayer de trouver des solutions à une problématique.
Quels sont les challenges et les évolutions rencontrés dans l’exercice de ton métier ?
Le challenge que je rencontre est surtout d’avoir suffisamment de matière. Nous avons la chance à l'OiEau de côtoyer des personnes aux profils très différents, qui travaillent à la fois au niveau technique et au niveau institutionnel, sur les plans local, national ou international.
Pour une sociologue, c'est une aubaine, car je peux réunir beaucoup d'approches. Cette transversalité me permet d'être au milieu de plein d’enjeux. Le challenge, c'est aussi essayer de faire cohabiter ces approches sans perdre de vue pour autant ma démarche sociologique et éviter de tomber uniquement dans la technique ou la recommandation. Je dois vraiment essayer de lier les deux et d’être au milieu de tous ces mondes pour les observer, les appréhender et voir comment nous pouvons faire avancer les choses.
C’est pour moi ce qui est le plus intéressant à l’OiEau, mais c’est aussi le plus complexe à mettre en œuvre. Souvent, quand je travaille sur une thématique particulière, les personnes qui vont travailler dessus sont plongées dans le sujet. Elles sont soit très techniques, soit axées sur les politiques, etc. Je suis amenée à « papillonner » entre les sujets et les thématiques, ce qui demande de toujours se remettre en question. Aborder de nouveaux sujets et améliorer sa connaissance, et en même temps, croiser les connaissances des uns et des autres pour mieux comprendre.
Parmi les outils que j'utilise, certains n'ont pas vraiment évolué. Mais d’autres si ! Ainsi, le traitement de données est facilité, on peut donc en traiter plus, bien que nous travaillions principalement sur des données qualitatives dans le pôle PIC.
Ce qui a beaucoup changé aussi, c'est le rapport à la production. Une fois qu'on produit un rapport, qu’en faisons-nous ? Il faut essayer de tendre vers la sensibilisation ou la vulgarisation, mais aussi faire vivre nos interrogations à travers des ateliers, de la participation. Les financeurs et bailleurs nous demandent plus d'actions de communication, ce qui permet aussi de se poser la question de l'intérêt pour la personne en face de nous. Cela m’a donc sortie de ma zone de confort ! Quand on est sociologue, on écrit, on publie et puis voilà, il n’y a pas de fin.
A l’OiEau, notre production est appropriée par d'autres. Par exemple, pour un guide méthodologique, il faut vraiment répondre à un besoin et travailler pour que la personne concernée puisse utiliser ce que nous avons recommandé.
Ainsi, nous avons entamé une étude sur la mobilisation des acteurs locaux dans le cadre de l’adaptation au changement climatique. En discutant avec nos partenaires, nous nous sommes rendu compte qu’il y avait un fort besoin en outils et en retours d’expérience. Cela a mené à la création d’une boîte à outils, qui peut être utilisée au-delà de ce programme. Cette étude théorique et académique au départ, est devenue un outil pratique pour appuyer et accompagner les partenaires.
Mon moteur et le cœur de mon métier, c'est comprendre, toujours mieux comprendre pour pouvoir ensuite proposer des actions et apporter de la connaissance.