BIO-PLATEAUX, un projet de gestion de l’eau entre trois pays et deux bassins

Publié le 09/06/23

France, Suriname, Brésil, et les fleuves transfrontaliers Oyapock et Maroni : voici les protagonistes du projet BIO-PLATEAUX.


Bassin de vie, hôte d’une biodiversité exceptionnelle, ce plateau des Guyanes est soumis à des pressions qui mettent en péril des services essentiels pour les populations : accès à une eau potable de qualité, résilience face à des évènements climatiques extrêmes, maintien de la qualité des milieux malgré l’évolution des activités économiques légales et illégales (comme l’orpaillage clandestin).

Ces enjeux de gestion sont partagés entre les 3 pays, mais les frontières administratives définissent de fait des limites de compétences géographiques, et donc une multiplication des acteurs concernés pour la gestion, avec des attentes, priorités, langues de travail, contextes légaux, méthodes d’organisations, contraintes et moyens légitimement différents.

Dans une logique, pas-à-pas, le projet BIO-PLATEAUX se propose de contribuer à renforcer les liens, et participer au décloisonnement nécessaire à une gestion durable des fleuves transfrontaliers.


Rémi Boyer, chef de projets en gestion intégrée des ressources en eau au sein de la Direction Appui – Coopération Institutionnelle et Technique de l’OiEau, nous dévoile les détails de ce projet ambitieux.

Je m’appelle Rémi Boyer, chef de projets en gestion intégrée des ressources en eau. Je travaille au sein de la Direction Appui – Coopération Institutionnelle et Technique, à Sophia Antipolis. Après diverses expériences en Asie du Sud-Est et en Afrique, je travaille actuellement sur des projets situés en Amérique latine et dans les Caraïbes.

J’ai en particulier la chance d’animer l’initiative Bio-Plateaux, sur le Plateau des Guyanes. Ce projet se focalise sur les fleuves transfrontaliers que la Guyane partage avec ses voisins : le Maroni à l’ouest avec le Suriname, et l'Oyapock à l’est avec le Brésil. L’équipe de l’OiEau, à la demande de l’Office de l’Eau de Guyane, assume un rôle de facilitation et coordination des activités à la disposition des partenaires des trois pays.

BIO-PLATEAUX est financé par l’Union Européenne (Programme de Coopération Interreg Amazonie), la Collectivité Territoriale de Guyane, le Centre National d’Etudes Spatiales, l’Office de l’Eau de Guyane, l’Office Français de la Biodiversité et les services de l’Etat en Guyane.

Les fleuves transfrontaliers du Maroni et de l’Oyapock : richesses et défis

Le Plateau des Guyanes en général, et les bassins versants transfrontaliers du Maroni et de l’Oyapock en particulier, se caractérisent par une double singularité :

  • humaine, avec une remarquable richesse culturelle. Le Maroni est un trait d’union pour des cultures très diverses : créoles, bushinengués, amérindiens, populations d’origine asiatique… De l’aval à l’amont, au gré de ses méandres, le fleuve regorge de spécificités, langues, moyens de subsistance, et d’organisations sociales différentes. Ces bassins versants sont d’abord des bassins de vie.
  • écosystémique, avec une biodiversité exceptionnelle, pour laquelle les ressources en eau constituent un réel vivier. La Guyane est la porte d’entrée de l’Europe en Amazonie. Ce trésor vert et bleu interroge les instruments à disposition pour mieux le connaître et le protéger, en termes d’indicateurs comme de moyens.

Dans ce contexte particulier, les bassins versants transfrontaliers font néanmoins face à de sérieux défis de gestion, très concrets pour les populations qui y vivent :

  • les services essentiels, en commençant par l’accès à l’eau potable en qualité suffisante et de façon continue. Dans des zones isolées, il s’agit d’un défi technique, économique et d’organisation de service qui doit être adapté également au contexte et attentes des populations. Autre service essentiel fondamental : la gestion des déchets solides, avec des enjeux de collecte, transport et stockage importants pour les deux bassins versants.
  • le risque d’inondation, avec les changements climatiques qui entraînent des évènements extrêmes plus intenses et plus fréquents, et une saisonnalité qui évolue. Du fait de l’histoire de ces fleuves, le niveau de résilience des populations est relativement élevé par rapport à d’autres régions du monde, mais la vulnérabilité et l’exposition aux risques s’accentue de génération en génération, avec la croissance démographique, la sédentarisation et la multiplication des zones habitées en bordure de fleuve.
  • la qualité des milieux, avec l’évolution des activités économiques qui génèrent des impacts sur les ressources en eau. Par exemple, l’usage des sédiments sur les berges qui modifie le trajet des cours d’eau et l’hydromorphologie. Autre exemple, l’orpaillage illégal qui entraîne des conséquences sur la vie quotidienne des riverains (turbidité, dégradant directement les eaux de baignade) et la santé des populations exposée aux métaux lourds par la nourriture issue des fleuves (poissons par exemple).

La démarche progressive du projet BIO-PLATEAUX

Ces enjeux de gestion sont partagés, par définition, car liés à l’écoulement des fleuves et des dynamiques amont-aval sur les bassins versants. Pourtant, les partenaires surinamais, guyanais et brésiliens ont constaté ensemble un cloisonnement des réponses au sein et entre les territoires. Bien que les fleuves soient des lieux de contact dynamiques, rendant possible le transport des biens et des personnes ; ils n’en sont pas moins des frontières sur les cartes. Ces frontières définissent de fait des limites de compétences géographiques, et donc une multiplication des acteurs concernés pour la gestion, avec des attentes, priorités, langues de travail, contextes légaux, méthodes d’organisations, contraintes et moyens légitimement différents.

Pour toutes ces raisons, il existe un réel besoin de dialogue et de coordination vers une gestion intégrée des ressources en eau et de la biodiversité aquatique. Celle-ci implique de construire progressivement une gouvernance transfrontalière, intersectorielle entre les différents usages (eau potable, navigation, environnement, agriculture, hydroélectricité, activités d’extraction, etc.), associant tous les acteurs institutionnels (nationaux, territoriaux, collectivités), non-institutionnels (économiques, non économiques, associations) et les populations (autorités coutumières et usagers).

Dans une logique, pas-à-pas, le projet BIO-PLATEAUX se propose de contribuer à renforcer les liens, et participer au décloisonnement nécessaire à une gestion durable des fleuves transfrontaliers.

Le pari de la connaissance : Phase 1

Entre 2019 et 2022, la première phase du projet a pris le pari d’ancrer la démarche sur la connaissance, avec trois objectifs :

  • mieux se connaître, avec l'organisation d'une conférence internationale à Cayenne qui a réuni des autorités de haut niveau des trois territoires en novembre 2019, afin de formuler une volonté politique partagée de dialogue, et d’insuffler la dynamique de travail. Puis des groupes techniques transfrontaliers thématiques ont été créés, en fonction des enjeux prégnants sur ces bassins versants (risques, qualité des milieux, services essentiels). Ils ont permis l’organisation d’échanges à distances pendant la période du COVID, puis de campagnes conjointes sur le terrain.
  • mieux connaître les ressources en eau et la biodiversité aquatique, en recensant les données existantes, en les partageant et en les valorisant conjointement (plateforme www.bio-plateaux.org, produits fondés sur les besoins comme des bulletins hydrologiques journaliers), mais aussi en renforçant les réseaux de suivi sur la base des priorités identifiées par les partenaires. Par exemple, le projet a ainsi facilité la signature franco-surinamaise d’un accord de coopération technique transfrontalière à niveau ministériel sur le Maroni, et l’installation de stations hydrométriques pour mieux prévenir et réagir face aux phénomènes de crues.
  • mieux faire connaître les enjeux des bassins versants transfrontaliers, ciblant les techniciens (études et formations sur des sujets innovants, comme l’hydrologie spatiale), les populations (avec des classes d’eau, à partir de matériels pédagogiques réalisés avec des associations et partenaires des trois territoires), et les décideurs (avec la prise en compte de la coopération dans le Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestion des Eaux -SDAGE de Guyane 2022-2027 et la promotion conjointe des enjeux du plateau des Guyanes lors d’évènements internationaux).

Vers un Observatoire transfrontalier : Phase 2

Après cette première phase qui a posé les jalons du dialogue entre les trois pays, la deuxième phase du projet, qui est mise en œuvre jusqu’en 2026, prévoit de travailler à la mise en place d’un Observatoire transfrontalier sur l’eau et les milieux aquatiques, avec quatre entrées complémentaires :

  • la gouvernance, qui est le socle du travail conjoint. D’une part, elle implique une réflexion sur l’Observatoire lui-même, avec un travail de préfiguration partagé. Cet Observatoire sera coconstruit par les acteurs des trois territoires, et devra être adapté aux possibilités juridiques, organisationnelles et aux moyens disponibles pour être pérenne. D’autre part, l’Observatoire s’insère dans un contexte de coopération et de dialogue transfrontalier préexistant, il doit donc l’alimenter et le renforcer ;
  • l’animation territoriale, en amorçant une démarche participative pour que les populations puissent directement orienter les travaux de préfiguration et de planification de l’Observatoire par leurs connaissances, observations et la formulation de leurs attentes. Le projet prévoit également que les riverains puissent bénéficier d’actions de sensibilisation, en partenariat avec écoles et associations des territoires ;
  • la planification par bassin, avec l’établissement d’une méthode ad hoc prenant en compte les contraintes réglementaires de chaque pays, puis sa mise en œuvre conjointe, progressive et participative par un état des lieux, un diagnostic partagé et la définition d’une vision commune sur le futur du bassin ;
  • le renforcement de la connaissance, avec le partage d’expérience thématique et la production de données qui permettra d’alimenter la planification par bassin, dans la continuité des groupes techniques transfrontaliers institués durant la première phase.

De façon étroitement coordonnée avec les points focaux dans chaque territoire (l’Office de l’Eau de Guyane, l’Université Anton de Kom du Suriname, le Secrétariat d’Etat aux Relations Internationales de l’Amapa au Brésil), l’équipe de l’OiEau a été identifiée pour animer la démarche transfrontalière. C’est une opportunité extraordinaire de partager et d’apprendre de nos interlocuteurs, dans un contexte singulier et profondément passionnant.


Les attentes et les besoins sont élevées, et BIO-PLATEAUX n’a pas vocation à répondre à l’ensemble des défis dans une zone complexe. Mais le projet compte bien apporter une contribution pour l’avenir des fleuves transfrontaliers sur le Plateau des Guyanes.

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