Métiers de l’eau : une crise d’attractivité aux conséquences majeures

Publié le 17/12/25

Le 9 décembre dernier, l’OiEau a accueilli dans ses locaux de Limoges une soixantaine d’étudiants de la Faculté de Sciences et Techniques de Limoges - Filière Eau, venus échanger avec les experts de l’OiEau et des professionnels du secteur (bureaux d’études, traiteurs d’eau …).

L’occasion pour ces étudiants de Masters 1 et 2 des Sciences de l'eau, et de trois licences professionnelles (Traitement des Eaux - TE, Maintenance des usines et des réseaux d’eau - MURE, Diagnostic et aménagement des ressources en eau - DARE) de parler métiers avec des intervenants professionnels.

Les métiers de l’eau (traitement de l’eau potable, assainissement, exploitation de stations, chimie de l’eau) sont aujourd’hui confrontés à une crise d’attractivité sans précédent. Alors même que l’eau est une ressource vitale et stratégique, les formations peinent à recruter et les professionnels manquent sur le terrain.

Un constat partagé par de nombreux acteurs de l’enseignement supérieur et de la formation, notamment à l’Université de Limoges (Unilim FST).

L’ombre portée du numérique et de l’intelligence artificielle

La première cause identifiée est la concurrence directe des métiers du numérique. Informatique, data, intelligence artificielle ou cybersécurité exercent une fascination forte sur les jeunes générations.

« On a comme un écran qui éblouit les jeunes », résume Mme Bourven, enseignante en Licence professionnelle "Traitement des Eaux".

Les métiers techniques liés à l’eau, souvent perçus comme manuels, concrets ou de terrain, souffrent de cette comparaison. Le tout-numérique, renforcé par l’omniprésence des écrans et des smartphones, rend ces professions moins visibles, moins valorisées et parfois jugées moins “modernes”.

Un enseignement scolaire de la chimie qui peine à susciter des vocations

Autre facteur clé : le manque d’attractivité de la chimie à l’école. Discipline essentielle aux métiers de l’eau, elle est souvent enseignée de manière théorique, déconnectée de ses débouchés professionnels.

Les élèves ne font pas le lien entre la chimie, et ses applications pour l’eau potable, la santé publique, l’environnement, et les métiers concrets qui y sont associés.

Résultat : peu d’élèves se projettent. Lors d’actions de sensibilisation auprès des jeunes, seuls quelques-uns manifestent un intérêt pour ces carrières, malgré leur utilité sociétale évidente.

Des jeunes plus mobiles, moins enclins à “se poser”

L’un des autres freins cités par les professionnels concerne le rapport au travail des nouvelles générations.

Là où les générations précédentes construisaient leur carrière dans une ou deux structures, les jeunes professionnels d’aujourd’hui aspirent à changer plus souvent d’environnement, découvrir des expériences variées, éviter l’ancrage trop durable dans un même poste.

Or, les métiers de l’eau, notamment en exploitation, nécessitent une présence régulière sur le terrain, une connaissance fine des réseaux locaux, et une certaine stabilité.

Ce décalage complique la fidélisation, même lorsque les postes sont techniquement intéressants.

L’effet territoire : un frein supplémentaire pour les régies rurales

La question de l’attractivité ne peut être dissociée de celle des territoires. Si les zones urbaines restent relativement accessibles en matière de recrutement, la situation est bien plus tendue pour les régies rurales, les exploitations situées à 30 ou 45 minutes des pôles urbains.

"Ce phénomène n’est d’ailleurs pas propre aux métiers de l’eau : il rappelle les difficultés de recrutement des médecins en zones rurales. La contrainte géographique devient un critère décisif pour des jeunes actifs peu enclins aux déplacements quotidiens" rappelle M. Couegnas, du bureau d'études Infralim.

Des métiers invisibles… donc inexistants dans l’imaginaire collectif

Les métiers de l’eau sont des métiers cachés. Les réseaux sont enterrés, les stations souvent à l’écart, et les professionnels peu médiatisés.

Contrairement à d’autres secteurs techniques (automobile, aéronautique, BTP), ils n’existent presque pas dans l’univers ludique et culturel des enfants. Par exemple, il existe des figurines reproduisant des métiers comme agriculteurs, policiers ou ouvriers, mais aucun technicien de station de traitement de l’eau.

Cette absence de représentation contribue à l’effacement de ces métiers dans l’imaginaire collectif dès le plus jeune âge.

Une image de marque peu valorisante

Alors que les métiers en lien avec la préservation de l'environnement suscitent des vocations, ceux qui concernent le petit cycle de l’eau sont méconnus par le grand public et les jeunes.

"Dans mon cas personnel, j’ai toujours été attiré par la nature et les métiers en lien avec le milieu naturel. J’ai voulu, depuis tout petit, travailler dans le secteur de la protection de la nature. L’aspect technique, travailler dans une station d’épuration, les boues, les mauvaises odeurs, n’est pas attirant" confie le représentant de la Direction régionale Nouvelle-Aquitaine de l'OFB.

Un paradoxe, souligné par M. Couegnas, ressort nettement : les jeunes se disent fortement attirés par les métiers de la protection de la nature, souvent portés par des structures associatives ou publiques aux moyens financiers limités.

À l’inverse, les syndicats d’eau, pourtant essentiels à la préservation de la ressource et souvent mieux dotés financièrement, peinent à séduire, malgré des conditions salariales plus attractives, une stabilité de l’emploi, et un impact environnemental concret.
Ce décalage montre que l’enjeu n’est pas uniquement financier, mais relève aussi de l’image, du sens et de la visibilité.

Des chiffres-clés

123 800

Emplois dans la filière Eau

en 2020, en France

13 000

Nombre de postes à pourvoir dans le secteur de l’eau

sur la période 2020–2025

24 188

Nombre de services publics d'eau potable et d'assainissement

en 2023

Sources : Filière Française de l'Eau et SISPEA

Illustrer, montrer, rendre concret : une urgence pédagogique

Pour inverser la tendance, une piste apparaît essentielle : montrer les métiers de l’eau.

Cela passe par :

• des supports visuels et ludiques,

• des illustrations concrètes des débouchés,

• des manipulations, visites et expériences,

• des liens explicites entre programmes scolaires et métiers.

Des discours comme « Avec la chimie, vous pouvez faire ce métier, ce métier, ce métier… », devraient être davantage mis en avant, insiste Mme Bourven.

Mais les enseignants font face à des programmes surchargés, laissant peu de place à l’orientation professionnelle et à l’exploration approfondie d’un secteur.

L’OiEau : une vitrine inspirante des métiers de l’eau

La découverte du hall technique de l’OiEau par les étudiants illustre parfaitement ce que peut produire une approche immersive.

Matériel, couleurs, installations visibles : tout concourt à attirer l’œil et à susciter la curiosité.

Même sans connaissances techniques, l’effet est immédiat :

• comprendre que l’on va faire quelque chose de concret,

• visualiser l’utilité,

• donner envie d’en savoir plus.

Une pénurie de vocations aux conséquences graves

La désaffection pour les métiers de l’eau n’est pas anodine. À terme, elle pose le risque majeur de fragilisation de l’accès à l’eau potable.

Sans techniciens, exploitants, chimistes et ingénieurs formés, les infrastructures vieillissent, la qualité de l’eau est menacée, et la gestion durable de la ressource devient impossible, alors qu'elle est sous tension avec les impacts du changement climatique.

Susciter l'envie : un enjeu collectif

Rendre les métiers de l’eau attractifs suppose une mobilisation globale de la part des établissements d'enseignement (tant initial que continu), des organismes de formation et d'institutions comme l’OiEau, des industriels, et acteurs de la médiation scientifique.

Valoriser les parcours, montrer l’utilité de ces métiers : tout est à repenser. Car derrière l’eau qui coule au robinet se cachent des femmes et des hommes indispensables. Et sans eux, c’est tout simplement notre quotidien qui est en danger.

Découvrez les formations de l'OiEau

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Réf : SK011

Eau potable et assainissement : découverte d'un métier

4 jours

Présentiel

Limoges

1784 € HT

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Prochaine session le 21/09/2026

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Réf : SK026

Découverte de l'eau potable : Usines de traitement et réseaux

4 jours

Présentiel

Limoges

1784 € HT

par participant

Prochaine session le 07/09/2026

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Réf : SK059

Découverte de l'assainissement : réseaux et stations d'épuration

4 jours

Présentiel

La Souterraine

1784 € HT

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Prochaine session le 05/10/2026

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